La moitié est de l’Amérique du Nord n’en avait pas encore fini avec ses températures polaires, qu’une tempête décrite de manière très explicite comme une « bombe météorologique » touchait la côte Est des États-Unis. Les plus zélés des zécolos y ont vu un signe que Dame Nature envoie un discours clair à l’administration Trump. Dame ! C’est bien parce qu’il saborde toute lutte contre le réchauffement climatique, anthropique et catastrophique que celui-ci provoque un terrible froid polaire, venu d’un Grand Nord terriblement réchauffé. Et comme c’est incohérent, les mots sont là pour mettre un voile sur toute tentative de l’esprit de faire preuve de raison : il s’agit bien sûr du dérèglement climatique.
En réalité, la vague de froid nord-américaine et la vigoureuse tempête qui a suivi sont liées. De manière physique. Regardons d’abord le côté théorique, avant de revenir concrètement aux récents événements.
Les Anticyclones mobiles polaires
Quiconque s’intéresse aux météores, c’est-à-dire aux phénomènes atmosphériques, a maintes et maintes fois entendu un présentateur météo ou un prévisionniste de Météo-France lors d’une émission sur le réchauffement climatique, tenir des propos assez surprenants. L’anticyclone des Açores nous protègerait du temps perturbé, tandis que d’autres fois on affirme que la perturbation vient pousser l’anticyclone et finit par le chasser. L’anticyclone resterait désespérément à une latitude trop basse, laissant passer les dépressions. Ou au contraire, il stagnerait anormalement sur l’Europe, loin de son centre habituel et éponyme, nous infligeant, en période estivale, une canicule comme celle de 2003. Entendu plus d’une fois, l’anticyclone des Açores aurait même des velléités à faire ceci ou cela, que l’on se garderait bien de contrarier ou que l’on regretterait.
Le temps en France, et plus généralement en Europe occidentale, serait très largement dicté par le comportement des deux centres d’actions que sont la dépression d’Islande et l’anticyclone des Açores. S’il est clair aux yeux de tous que celle-là n’a d’existence que statistique, n’existant que grâce à l’énorme perte d’information que représente une simple moyenne des pressions enregistrées, il n’en est pas de même pour celui-ci, présenté comme une véritable entité météorologique, pérenne pourrait-on dire.
Ce n’est certes pas ici que l’on pourra entrer dans le détail des concepts de la météorologie et de la climatologie. Une chose toutefois. L’anticyclone des Açores, comme ses équivalents ailleurs dans le monde, aurait une origine dynamique : une ondulation du courant-jet d’altitude, plus connu sous le nom de jet stream, qui induirait une subsidence d’air sur la face arrière du talweg. Ce qui signifie que les très faibles pressions d’altitude seraient à même de créer et commander des hautes pressions au sol, de densité trois fois supérieure ! Avec pour cela des descentes d’air forcément intenses, que l’on n’a jamais observées, et pour cause puisqu’il faudrait alors un mouvement d’air des basses vers les hautes pressions, à l’inverse de ce qu’imposent les lois de la nature.
Les dépressions, elles, se trouveraient sur la face avant de ces talwegs. Laissons la parole aux auteurs d’un manuel universitaire que des générations d’étudiants ont potassé pour leurs cours de climatologie :
« Rossby et ses collaborateurs avaient noté l’étroite similitude entre le profil de vitesse du jet-stream en régime rapide et celui qu’on observe dans les tourbillons horizontaux des cyclones tempérés. Un même type de turbulence suggère une étroite relation de cause à effet. Or cette variation est corroborée par les variations saisonnières du jet-stream, d’autant plus puissant que les perturbations du front polaire sont plus actives en hiver. »
Une observation certes intéressante, mais peut-être prise dans le mauvais sens. Car en hiver, le courant-jet d’altitude est rapide et... tendu. Peu à même donc d’onduler et de former ces talwegs d’altitude censés générer anticyclones et dépressions. C’est en été que l’ondulation d’ouest est la plus marquée et c’est donc à cette saison que l’on devrait assister aux échanges méridiens les plus intenses, soit précisément le contraire de ce que l’on peut observer.
Laissons donc de côté ce que Marcel Leroux, climatologue français décédé en 2008, appelait de l’animisme météorologique, pour nous intéresser aux observations décisives permises par les satellites. C’est donc en images que les Anticyclones mobiles polaires mis en évidence par Marcel Leroux vont être brièvement expliqués.
Les hautes latitudes sont en constant déficit radiatif : elles rayonnent plus d’énergie qu’elles n’en reçoivent. Ce déficit thermique implique le refroidissement par la base de la basse atmosphère, qui s’affaisse et s’étale par divergence, formant des hautes pressions, autrement dit des anticyclones. L’augmentation de masse de cet air refroidi, alliée à la force centrifuge, ainsi qu’à la pente des inlandsis groenlandais et antarctique conduit à son exportation hors des zones polaires, vers des latitudes plus basses, selon une composante méridienne plus ou moins marquée et une autre vers l’est variable elle aussi.
Ces masses d’air froid, par leur nature même, sont pelliculaires, épaisses d’environ 1 500 mètres, et d’un diamètre moyen de 2 000 à 3 000 kilomètres. Les caractéristiques de ces vastes lentilles d’air froid (absolument et/ou relativement) conditionnent leur trajectoire, car de l’air dense et de faible épaisseur ne peut franchir des reliefs importants. Ces derniers peuvent donc orienter la trajectoire de ces anticyclones mobiles polaires (AMP), les fractionner, voire les bloquer. La carte ci-dessous illustre ces trajectoires moyennes dans l’hémisphère nord.
La génération de ces hautes pressions aux pôles est importante, puisqu’un AMP est expulsé d’Arctique quasiment chaque jour (en moyenne 1,1 jour). À mesure qu’il s’éloigne des hautes latitudes, l’AMP évolue progressivement et tend à perdre de sa puissance par divergence et par contact avec la surface, plus chaude que lui. Les AMP arrivant sur la France peuvent avoir deux trajectoires principales. L’une « atlantique », la plus fréquente, venant de l’Arctique canadien, à l’ouest du Groenland. L’autre dite « scandinave », passant donc à l’est de l’inlandsis. Les plus puissants sont les seconds, car de trajectoire plus directe (qui leur laisse moins le temps d’évoluer). Ce sont eux qui, en hiver, nous apportent de grands coups de froids. On peut voir ci-dessous l’évolution de la température au passage de l’un d’entre eux. Le 5 février 2013, un AMP de trajectoire scandinave envahit la France. La température, qui remontait depuis le matin, chute alors de plusieurs degrés très rapidement. À Niort, la perte est de 5 °C en une heure.
C’est également à un AMP scandinave que l’on doit la vague de froid intense et subite qui déferle sur la France du nord au sud à la toute fin de l’année 1978. À mesure que progresse l’AMP, les températures chutent vertigineusement, générant de grandes différences thermiques de part et d’autre de sa face avant. Le 31 décembre, vers 16h00, l’AMP atteint la région parisienne. Tandis qu’à l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle, touché par l’air polaire, la température descend à -10 °C, il fait encore 11 °C à une trentaine de kilomètres au sud, à l’aéroport d’Orly. En seulement 18 heures, la station de Paris-Montsouris enregistre une baisse de 24 °C. L’évolution thermique n’est pas tout. La République de Seine-et-Marne du 1er janvier 1979 titre : « L’étonnante journée climatique du 31 décembre en Seine-et-Marne : orage, grêle, averses à 16 heures... verglas et neige à 18 heures ! »
Dans son déplacement vers le sud, l’AMP est en contact avec un air plus chaud et moins dense, qui va le surmonter pour partie, mais surtout qu’il rejette vers le nord, créant une dépression associée. On peut voir sur cette image Météosat du 28 avril 1986 un AMP particulièrement bien identifiable, arrivant sur les côtes de l’Europe occidentale, avec la dépression qui lui est associée, matérialisée par l’enroulement classique des vents.
Plus le froid au pôle est intense (donc la différence avec l’équateur grande), plus les AMP sont puissants et plus les dépressions se trouvant sur leur face avant sont creuses (faible pression atmosphérique), induisant un temps plus violent. C’est le cas en hiver, alors que le contraste entre basses et hautes latitudes est le plus marqué (c’est à cette époque de l’année que les tempêtes se forment le plus fréquemment), mais aussi lors des fluctuations climatiques conduisant à un refroidissement marqué, comme pendant le Petit âge de glace. Le temps qu’il fait est directement lié aux caractéristiques physiques de l’AMP et de l’air dans lequel il se déplace, mais aussi à sa trajectoire.
Le concept d’AMP, ce n’est donc pas seulement le déplacement de hautes pressions en provenance du pôle, reconnu depuis plusieurs dizaines d’années bien que nié encore par beaucoup ; c’est également la zone dépressionnaire qui lui est étroitement associée, génératrice d’un temps perturbé. Le schéma suivant illustre cette interdépendance entre hautes et basses pressions à nos latitudes.
Les éruptions volcaniques importantes, grâce à leurs nuages de poussières et de cendres facilement suivis par satellite, permettent de matérialiser les AMP et leur rôle dans les échanges méridiens. Ici, suite à l’éruption du Mont Spurr (Alaska) le 17 septembre 1992, un AMP prend en charge sur sa face avant le nuage de poussières à partir du 18 septembre et le transporte en quelques jours vers le Groenland.
Il en fut de même lors de l’éruption du volcan islandais Eyjafjöll en 2010. L’image animée montre la prise en charge du nuage de poussières dans la dépression de face avant de l’AMP, mais aussi sur le toit de celui-ci. Les petites flèches indiquent la direction du vent et montrent bien le sens de circulation de l’air dans le sens horaire pour l’anticyclone et dans le sens antihoraire pour la dépression associée.
Les deux images ci-dessous montrent l’arrivée d’un AMP atlantique sur l’Europe occidentale, le 20 février 2014 à 12h00. La première est bien sûr une image satellitale. La seconde est la carte isobarique correspondante. La situation est remarquablement claire, anticyclone mobile et dépression associée étant très clairement définis. Même un œil peu exercé peut deviner la provenance de l’AMP, depuis l’ouest du Groenland.
On voit également, sur la carte isobarique, que l’AMP rejoint une zone de haute pression. Il s’agit de la ceinture des hautes pressions subtropicales, qui ne sont rien d’autre que des agglutinations anticycloniques, constamment alimentées par l’arrivée d’AMP.
Des agglutinations anticycloniques peuvent également se produire sous nos latitudes. Elles sont alors généralement décrites comme des situations de blocage, la plupart du temps non expliquées, si ce n’est par les ondulations du courant-jet, ce qui, comme on l’a vu, n’est guère probant. Que plusieurs AMP s’agglutinent en hiver et l’on obtient à partir d’un air déjà très froid une situation anticyclonique stable favorable au refroidissement : longues nuits claires pendant lesquelles le rayonnement de la Terre (dans l’infrarouge) n’est pas bloqué par les nuages, jours courts pendant lesquels le Soleil est bas sur l’horizon et peu à même de réchauffer l’atmosphère. C’est ce qui s’est passé lors des quatre vagues de froid de l’hiver 2009-2010, ou encore les hivers 1954 et 1956. C’est également le cas de l’épisode froid de février 2012.
Si les agglutinations anticycloniques hivernales nous apportent le froid, celles se déroulant en été génèrent toutes les conditions favorables à un temps chaud et sec. C’est précisément ce qui s’est passé en août 2003 : la fréquente alimentation en air dense via les AMP, a installé sur la France des hautes pressions favorisant l’échauffement des basses couches de l’atmosphère. S’ensuit une canicule remarquable tant par ses températures que par sa longueur, très rapidement cataloguée comme une manifestation sinon du réchauffement climatique, du moins de ce qui nous attend plus fréquemment à l’avenir à cause de celui-ci.
La reconnaissance des AMP par Marcel Leroux, basée sur l’observation des faits, aurait pu être une étape majeure de l’évolution de la discipline climatologique. Outre les classiques oppositions entre chapelles, et plus généralement aux explications nouvelles en science, le contexte du réchauffement climatique anthropique n’a guère été favorable, car la lecture de l’évolution du climat à l’aune du travail de Marcel Leroux ne lui est guère favorable, pour le moins.
La vague de froid et la bombe météorologique
La vague de froid a été abondamment décrite dans un précédent article (https://www.egaliteetreconciliation.fr/Vague-de-froid-et-de-desinformation-sur-l-Amerique-du-Nord-49238.html), dans lequel il a été surtout question de dire quelle n’en était pas l’explication : celle servie par les médias et les scientifiques chargés de sauver les apparences. Au regard de ce qui précède, on aura compris que les AMP sont l’unique explication de ce froid effectivement polaire. Durant une bonne dizaine de jours, une succession de hautes pressions mobiles en provenance directe des plus hautes latitudes ont traversé le Canada et les États-Unis, avec les conséquences que nous avons vues.
Sur les cartes animées ci-dessous, nous pouvons voir pour deux séquences, du 27 au 29 décembre 2017 sur la première, et du 30 décembre 2017 au 2 janvier 2018 sur la seconde, la succession des anticyclones, c’est-à-dire des AMP, qui traversent l’Amérique du Nord vers le sud.
Les pressions enregistrées sont très élevées, jusqu’à plus de 1050 hPa, y compris aux États-Unis. C’est considérable. Une valeur égale au record de pression enregistrée en France à Paris, il y aura bientôt deux cents ans, le 6 février 1821 (en hiver, bien sûr).
Comme nous l’avons vu avec l’explication physique, à toute descente d’air polaire, froid et dense, et donc anticyclonique, est associée une remontée d’air relativement chaud, dépressionnaire, c’est-à-dire de faible pression. Sur le document ci-dessous, la carte animée permet d’observer le défilé des hautes pressions (« H » pour High, anticyclone) et la remontée le long de la côte Est de la dépression (« L » pour Low, dépression), constamment alimentée par ceux-ci, comme une main qui ferait tourner de plus en plus vite un tourniquet.
Dépression tempétueuse sur l'est Canada
951.1hPa à Saint-John's (New Brunswick), record absolu de basse pression battant les 958.4 du 17 mars 1981
Rafale de 122km/h à Halifax (Nova Scotia), record mensuel
(données @Pat_wx)
Cyclogénèse explosive 1004->950hPa en 24h
(maps @NWSOPC) pic.twitter.com/1h8IzM1rKu— Etienne Kapikian (@EKMeteo) 5 janvier 2018
Cette constante alimentation en air polaire dense « creuse » la dépression, à une vitesse rapide, qui lui vaut son nom de « bombe météorologique. » Cette expression a été forgée et popularisée dans le milieu météo en 1980 par un chercheur américain du Département de météorologie du MIT, à partir d’un critère défini quelques décennies plus tôt. Une dépression est ainsi qualifiée quand la baisse de pression est au moins égale à 24 hPa (hectopascal – ou millibares, comme on disait encore à l’époque) en 24 heures. Dans notre cas, la cyclogenèse a été proprement « explosive », puisque cette baisse a dépassé les 50 hPa.
#GOESEast captured the full path of the #BombCyclone exhibiting a rare and extremely rapid rate of intensification on the East Coast with some of the coldest wind chills of the season and near zero visibility in the snow bands @NWS. #Blizzard2018 More : https://t.co/mbgRYot60A pic.twitter.com/GKlFTaLJBI
— NOAA Satellites (@NOAASatellites) 4 janvier 2018
La pression minimale enregistrée a été très basse, environ 950 hPa. C’est là encore proche du record français, de 947 hPa, relevé à Boulogne-sur-Mer le 25 décembre 1821 (la même année que notre record de haute pression, et bien sûr en hiver).
Les vents froids, venus du continent, se sont abondamment chargés en humidité au-dessus de l’océan Atlantique, dont la température de l’eau, qui reste relativement douce en raison du Gulf Stream, était même plus chaude que d’accoutumée (l’évaporation est d’autant plus forte que la différence est grande entre les températures de l’air et de l’eau). C’est un peu l’équivalent de l’effet de lac dont il était question dans le précédent article, avec un air qui part sur l’océan avant de revenir vers les terres chargé d’un potentiel précipitable important. Les chutes de neige ont donc été une nouvelle fois importantes dans le Nord-Est, habitué à de tels montants. Évidemment, avec la tempête, c’est un blizzard que les habitants ont dû endurer.
Les vents violents ont poussé la mer contre le littoral, créant une surcote s’ajoutant à celle due à la faible pression atmosphérique (il faut ajouter un centimètre de hauteur d’eau pour chaque hectopascal perdu). La configuration du littoral du Massachusetts, par effet d’entonnoir, a localement provoqué des submersions sur les points les plus bas.
L’océan, en rentrant dans les terres, a rencontré un sol glacé. Ainsi l’eau de mer, avant même de se retirer, a-t-elle commencé à geler dans les rues de Revere (ville appartenant à l’agglomération de Boston).
Nous sommes loin du discours dominant sur le réchauffement. Et pas simplement parce qu’un hiver rude en Amérique du Nord serait un argument de sceptique, auquel un réchauffiste répondrait par les chaleurs estivales torrides régnant sur l’Australie. À travers la magie des mots, on voudrait nous faire croire que le réchauffement, qui serait la théorie, se concrétiserait dans les observations par un dérèglement climatique. On pourra tordre la réalité autant qu’on veut, un Arctique réchauffé ne saurait générer et envoyer à travers le continent nord-américain des masses d’air aussi denses, puisqu’on a dépassé les 1050 hPa, et froides (-50 °C dans le nord du Canada). L’Arctique, qui se réchaufferait particulièrement… l’hiver. À cause de l’effet de serre ? En pleine nuit polaire ?! Le pôle du froid n’est pas le pôle géographique. Si ce dernier reçoit plus d’air doux (relativement), c’est sans doute à cause d’échanges méridiens intensifiés, et donc d’un refroidissement de certaines zones. Les prémisses d’un refroidissement plus global ? L’avenir nous le dira. Les habitants du Massachusetts, eux, ont des raisons de le croire. Ils ont eu cette année la banquise dans leurs rues, alors qu’en mars 2015 elle s’était contentée d’envahir la baie du cap Cod.